Où suis-je ? Qui suis-je ? C'est agréable ici, je me sens bien. Cette huile a un goût bizarre, mais pas désagréable. Oui je me sens bien, mais pourtant, j'ai cette irrépressible envie de m'étendre, de grandir, j'ai faim. Oui j'ai faim, je pourrais manger n'importe quoi. Qui suis-je ? Que suis-je? Je ne sais pas, je ne sais plus. Des arbres, oui une forêt ce serait bien...du bois, quel délice. Je suis donc une entité xylophage. Il fait bon et cette délicate fumée qui se dégage de mon corps brûlant, d'où vient-elle ? Que suis-je ? Qu'elle est mon rôle ? Du monde, il y a du monde autour de moi, ils tendent les mains...Que veulent-ils ? Je n'ai rien à leur offrir et pourtant ils semblent satisfaits. Cette douce chaleur, c'est de moi qu'elle émane, serais-je...Oui ce doit être ça, tout s'explique. Oui, je suis un petit brasier. Un petit brasier prisonnier d'une coupe de métal remplie de graviers. J'aimerais grandir, m'étendre et pourtant je suis bien, je suis heureux. J'apporte le réconfort et la lumière...La lumière. Celle qui rassure les enfants entamant leur voyage dans un monde onirique, celle qui guide les aventuriers dans les tréfonds obscurs, celle qui éloigne les prédateurs...Oui je suis cette lumière, je suis utile et je suis bien heureux.
Soudain une erreur, un accident. Je goûte enfin au tissu délicat du tapis, je peux grandir, toujours plus. Je peux me repaître de mets plus délicats: le bois des meubles, celui de la charpente. Il m'en faut plus, oui, encore plus. Des cris, des pleurs, une chaleur intense. J'effraie, je tue, je brûle tout. Je n'apporte plus le réconfort, mais la terreur. Je suis incontrôlable. Je n'arrive pas à m'arrêter, tout le monde me craint et me hait. Je libère ces pauvres âmes innocentes de leur enveloppe charnelle, tout n'est que cendre et désolation derrière moi. Non, non, je ne suis pas comme ça, je n'ai jamais été comme ça. Je ne suis pas un brasier, je suis un archer, je suis Karz. Je ne suis pas un brasier ardent et destructeur, non, la flamme est en moi, le flamme de la volonté. Oui j'ai volonté d'avancer et de protéger les autres comme....que se passe-t-il. Où suis-je? Tout est devenu flou et me voilà maintenant..mais c'est ...mon village ? Comment est-ce possible ? Il a été rasé il y a des années ! Pourtant je suis bien dans la « salle de classe » ou le prêtre de Yuimen du village nous faisait la leçon. Je reconnais les tables, les livres ...tout. Que j'ai aimé apprendre, à lire, à écrire. Que la chaleur des souvenirs heureux est douce et réconfortante. Pourtant quelque chose cloche. Qui sont ces gens ? Pourquoi n'ont-ils pas de visages ? Qu'est-ce qui se passe?
« Karz ! Dis-moi, peux-tu me dire qui est Oaxaca? »
Bien sûr que je le peux...mais pourquoi je n'arrive pas à parler, je n'y arrive pas! Je connais la réponse pourtant. Que va-t-il m'arriver si je ne réponds pas ? Que va me faire cette créature anthropomorphique si je ne lui apporte pas la bonne réponse? Le stress monte, je commence à avoir chaud, ma respiration s'accélère et je transpire. J'ai chaud, trop chaud et ma voix qui ne veut toujours pas venir. Pas le moindre son, rien.
« Je vois.... »
Que va-t-il m'arriver? Non, ils se mettent tous à gonfler. Que vont faire ces entités turgescentes? Elles explosent, oui elles explosent, balayant tout le paysage et ne laissant place qu'à une image kaléidoscopique et colorée. Impossible de discerner quoi que ce soit. Je vois des tas de choses, trop de choses. Des ichtyoïdes, des arachnoïdes, des humanoïdes, bref tout un tas de formes bizarroïdes si je puis me permettre la rime douteuse. Je suis incapable de bouger ou de fermer les yeux, restant là, à regarder l'œuvre d'art bigarrée, mais tout d'un coup, le noir complet. Je ne vois rien, mais je sens, oui je sens une douce chaleur sur ma peau et un souffle à la température tout aussi agréable dans mon cou. Cette chaleur, d'où provient-elle? Cette pression, cette sensation, oui, c'est bien, le corps d'une femme. Qui est-elle ? J'ai perdu la voix et maintenant la vue. Seuls subsistent l'ouïe et le toucher. Je la sens, sa peau contre la mienne, le contact agréable de la chaleur humaine. Je l'entends, sa respiration calme. Qui est-elle ? Encore une fois, j'ai chaud, je transpire, mais cette fois, c'est agréable. J'apprécie cette proximité, je me sens bien. Ressent-elle la même chose? Je l'espère. Elle attise le brasier ardent de mon désir, je ne peux la voir ou lui parler...mais....où va-t-elle ?
De nouveau seul, plongé dans le noir et incapable d'appeler à l'aide...J'ai peur, oui, je suis mort de peur. Prisonnier des ténèbres. Que se passe-t-il ? Des rumeurs de bataille, des bruits de métal, des cris, des pleurs, puis plus rien, je n'entend plus rien. Juste cette chaleur, encore et toujours, oppressante cette fois-ci. Suffocante. J'ai mal, très mal, ma peau me brûle atrocement, où suis-je? Que m'arrive-t-il ? Je ne vois rien, n'entends plus rien non plus. Je ne ressens que cette douleur atroce et cette touffeur. Et la mort qui ne vient pas. Pourtant je l'accueillerais à bras ouvert pour ne plus souffrir. Aidez-moi...Je vous en supplie....Sauvez moi....Tuez moi, n'importe quoi pourvu que ça cesse.
« A l'aaaaaide !»
Je..J'ai parlé, ma voix est revenue et j'entends, oui j'entends de nouveau, un grondement sourd de plus en plus puissant. Des rivières de lave, oui, je vois des rivières de lave et je...je baigne dans l'une d'entre elles ! Quel est cet endroit ? Je l'ai déjà vu....où? Pourquoi me garder en vie dans la douleur. Je n'arrive pas à bouger...J'ai besoin d'aide. Je n'y arriverai pas seul. De l'aide...Une main sur mon épaule, un contact rassurant. Je n'arrive pas à bouger et je ne vois pas qui est en train de me tirer de cette rivière de feu. Toujours est-il que la douleur cesse, presque instantanément. La situation est étrange. Je suis là, allongé au bord d'une rivière embrasée, une petite lutine rousse debout sur mon torse et trois autres personnes au-dessus de moi, me regardant d'un air inquiet. Une jeune guerrier roux, et deux magnifiques elfes. Quelle est cette sensation? Encore une chaleur...différente cette fois ci. Plus réconfortante que toutes les précédentes. J'ai été flamme, puis j'ai connu la chaleur de l'angoisse, celle des plaisirs charnels, puis la douloureuse, la suffocante. Maintenant je ressens...oui, celle de l'amitié. Celle qui vous aide à tenir debout, à vaincre l'adversité, à franchir les obstacles un à un sans tomber. La plus agréable de toute. Celle qui éclaircit les ténèbres qui ont envahi mon cœur. Celle qui me permettra dorénavant d'avancer. Je me relève et nous faisons tous face à une immense tour qui perce les nuages. La terre tremble...Mais je n'ai pas peur, non je me sens bien et fort. Cette chaleur me colle désormais à la peau et je suis prêt à braver tous les dangers, à affronter tout ennemi qui me....qui nous barrera la route. Je suis prêt à tout pour la conserver et la protéger...pour les protéger. Cette lumière ne s'éteindra plus tant que je serai en vie. J'en fais le serment.
Fin